DROIT ET INTELLIGENCE ARTIFICIELLE : DE QUOI PARLE-T-ON ?

Par Alejandra Delfin

I.Introduction

Il n’y a pas un jour sans qu’on entende parler de l’intelligence artificielle (IA). Grand sujet d’actualité, on se focalisera sur l’IA appliquée dans l’environnement juridique.

L’intelligence artificielle a fait son arrivée pour la première fois dans un cabinet d’avocats en 2016, plus précisément aux Etats Unis. « Ross intelligence », un robot « avocat-assistant »[1] basé sur la technologie Watson d’IBM, a été « recruté »[2] par le cabinet BakerHostetler[3].

Aujourd’hui, presque deux ans après, l’utilisation de l’IA dans les métiers de droit est une réalité. En France, l’impact de cette technologie est si important qu’il a été anticipé que l’IA « va transformer le traitement d’opérations récurrentes, notamment en matière de transmission de l’information, y compris de l’information juridique »[4].

 

II.Quelques exemples illustratifs[5]

L’environnement des « legal tech » comprend différentes solutions : dès l’IA proprement dite jusqu’aux solutions consistant en big data juridique, en passant par des outils de rédaction des écrits juridiques et d’analyse et préparation du dossier[6].

  • Ross intelligence

Disponible aux Etats Unis, Ross est présenté comme un logiciel de traitement des données juridiques, qui répond à des questions de droit qui lui sont posées en langage courant[7]. Ross fait aussi la veille juridique : il nous signale s’il y a des nouvelles décisions de justice qui impactent sur la branche du droit qui nous intéresse. La particularité de cette technologie est qu’elle apprend, c’est-à-dire qu’elle devient de plus en plus performante avec son utilisation.

  • Demander justice.com

Le site propose de saisir la justice en quelques clics et « sans frais d’avocat »[8]. Il offre les outils nécessaires à la constitution d’un dossier, « sans se déplacer et sans assistance ». Accusé récemment d’exercice illégal du droit, il est sorti victorieux du combat judiciaire que lui livrent le Conseil national des barreaux (CNB) et l’Ordre des avocats de Paris[9]. Les sites « saisirprud’hommes.com » et « actioncivile.com » offrent des services similaires.

  • Case Law Analytics, Supra Legam, Tyr-Legal…

Case Law Analytics, projet de start-up porté par l’INRIA, se présente comme une solution qui apporte un outil pour mieux calculer les risques juridiques. Il s’appuie sur des bases de données de décisions judiciaires issues du big data et l’analyse mathématique du risque (de condamnation et son montant) estimées en fonction de critères juridiques et factuels renseignés par l’utilisateur[10]. Il existe aussi avec des applications pour iPad et iPhone.

Supra Legam[11] et Tyr-Legal[12], de leur côté, proposent la même technologie de justice prédictive : le premier s’est spécialisé dans la justice administrative, le deuxième dans le droit du travail.

  • Doctrine.fr

Doctrine.fr est un moteur de recherche qui offre l’accès « au plus grand fonds de jurisprudence disponible en France, de la première instance à la cassation ». Il propose, entre autres, des résumés et informations complémentaires concernant les résultats de recherche (références, commentaires d’arrêt, décisions similaires)[13].

  • Predictice.fr

Predictice – aujourd’hui dans sa version Beta et pas encore disponible au grand public – promet de pouvoir accéder « au meilleur de la doctrine, à la jurisprudence et aux textes de loi via une barre de recherche unique, en langage naturel ». Le site ajoute qu’en un clic « [son algorithme] calcule les probabilités de résolution d’un litige, le montant des indemnités et identifie les moyens les plus influents »[14].

 

III.Le réflexe d’une conclusion binaire : Droit et IA sont-ils amis où ennemis ?

L’application de l’IA dans le domaine du droit provoque des sentiments d’espoir et de méfiance. Les avantages principaux : cela permet d’évaluer à l’avance les chances de gagner un procès et, si c’est possible, le montant éventuel des indemnités (ce qui, dépendant du résultat de la recherche, peut inciter le justiciable à chercher un règlement à l’amiable plutôt que de déclencher une procédure judiciaire). Cela permet aussi de gagner de temps dans la veille juridique et la préparation d’une affaire.

La critique principale : remplace-t-elle les professionnels du droit (paralegals, stagiaires, collaborateurs…) ? L’utilisation de l’IA au sein des cabinets d’avocats peut donner l’impression de provoquer une suppression directe d’emplois. Cependant, comme l’explique bien le professeur Dondero dans son blog, on a du mal à imaginer que, dans l’état actuel de leur développement, les logiciels puissent répondre à des questions complexes – par exemple, avec des différentes procédures, branches de droit, litiges dérivant de sujets interdisciplinaires ou thèmes qui contiennent des mots ambigus ou vagues –[15]. Nous pourrons arriver à la même conclusion en imaginant la possibilité qu’aurait l’IA de plaider devant le juge ou de négocier avec la partie adverse…

Autre réflexion : en France, l’ouverture des données juridiques sur lesquelles les « legal tech » se basent : elles ne peuvent pas donner de résultats de recherche efficaces si elles n’ont pas accès à la totalité des décisions judiciaires. Bien que l’open data juridique (la diffusion de toutes les décisions judiciaires) a été établi par la Loi du 7 octobre 2016 pour une République Numérique[16], comme l’indique le journal Le Monde : « l’ouverture des données ne fait que commencer : aucune décision de première instance n’est disponible en open data et seuls 4 % des arrêts de cours d’appel le sont »[17].

Pour ou contre, l’IA est déjà une réalité et provoque beaucoup de débats. Sans doute, cela reste une affaire à suivre…

 


 

[1] Conf. Rapport de reference de Blue Hill research : « ROSS Intelligence – Artificial Intelligence in Legal Research » (en anglais), janvier 2017. En http://www.rossintelligence.com/ (sur demande).

[2] Le spot publicitaire propose d’« hire » (en anglais, « embaucher ») Ross. En http://www.rossintelligence.com/

[3] « Les avocats frileux face au virage numérique », en Le Monde du 15/02/2017, en http://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2017/02/15/les-avocats-frileux-face-au-virage-numerique_5079858_4355770.html

[4] (Cont.) « C’est également une intelligence qui apprend en permanence : au fur et à mesure que ces outils seront utilisés, ils s’amélioreront et se sophistiqueront […] cette intelligence artificielle va s’orienter vers les outils prédictifs qui, en toutes matières et pour tous usages, vont modifier nos comportements… ». Rapport confié par Monsieur Jean-Jacques Urvoas, Garde des Sceaux, Ministre de la Justice à Monsieur Kami Haeri, Avocat au Barreau de Paris, L’avenir de l’avocat, février 2017, pp. 16-17.

[5] Charpentier consulting a publié récemment une liste avec 94 legal tech situées en France. En « 2017 French Legaltech List » https://media.wix.com/ugd/c21db1_14b04c49ba7f46bf9a5d88581cbda172.pdf

[6] Emmanuel Barthe, « ‘Intelligence artificielle` en droit : les véritables termes du débat », du 24 février 2017, en http://www.precisement.org/blog/Intelligence-artificielle-en-droit-les-veritables-termes-du-debat

[7] http://www.rossintelligence.com/. Dernière consultation : 26 février 2017

[8] https://www.demanderjustice.com/

[9] « Demanderjustice.com : les raisons d’un succès », en Le point du 17/01/17, en http://www.lepoint.fr/chroniqueurs-du-point/laurence-neuer/demanderjustice-com-les-raisons-d-un-succes-17-01-2017-2097850_56.php. http://cnb.avocat.fr/Relaxe-par-la-Cour-d-appel-de-Paris-du-dirigeant-de-la-societe-Demanderjustice%C2%A0-un-debat-appele-a-se-poursuivre_a2584.html. Voir aussi : http://cnb.avocat.fr/Relaxe-par-la-Cour-d-appel-de-Paris-du-dirigeant-de-la-societe-Demanderjustice%C2%A0-un-debat-appele-a-se-poursuivre_a2584.html

[10] Voir : http://caselawanalytics.com/#fonctionnement.

[11] http://www.supralegem.com

[12] http://www.tyr-legal.fr/

[13] https://www.doctrine.fr/fonctionnalites?source=nav

[14] https://predictice.com/

[15] « ROSS, Peter, Dalloz et les autres… », du 7 juin 2016, en https://brunodondero.com/2016/06/07/ross-peter-dalloz-et-les-autres/. Voir aussi « La justice prédictive », du 10 février 2017, en https://brunodondero.com/2017/02/10/la-justice-predictive/

[16] La loi pour une république numérique (n° 2016-1321 du 7 oct. 2016) ajoute au Code de l’organisation judiciaire l’art. L. 111-13 qui dispose que « les décisions rendues par les juridictions judiciaires sont mises à la disposition du public à titre gratuit dans le respect de la vie privée des personnes concernées » (partie pertinente).

[17] « Les avocats frileux… », cité.

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